À Rouen, le 04 mai 2011
Mes amis,
Aujourd’hui, le temps est au beau fixe sur la Normandie et mon moral, lui, navigue dans les brumes matinales, humides, épaisses, sombres et moroses. La situation a bien changé depuis nos derniers échanges.
Je ne sais plus très bien quel père je suis, je me suis perdu un peu dans cette histoire. Je n’ai pas vu ce qui se passait sous mes yeux, des scènes défilaient sans que je ne puisse interagir, pétrifié par je ne sais quelles peurs. Je m’étais pourtant promis d’être différent, de ne pas ressembler à ce père absent que fut le mien. J’ai toujours été là pour Elle, pour Lui, les observant, les soutenants, et mon attention s’est détournée un instant comme dans ce film, je ne me souviens plus de son titre, ni de ses acteurs, mais des yeux de ce père. Il était là sur le rebord de la piscine, son fils aussi non loin, un peu perdu dans une foule d’enfants criant, exultant leurs joies de se rafraîchir. Il se retourne un moment perturbé par toutes ces femmes vêtues de simple bikini. Je me souviens alors de ce ralentit celui qui rend les minutes des heures, les présences des absences. Il se tourne sur lui même et cherche son enfant. L’effroi de ce père, d’avoir un instant détourné son regard, s’invite en moi avec toute cette culpabilité d’avoir failli à mon devoir de père.
Je ne sais plus quand je me suis détourné d’Elle, ou Elle de moi, mais là voilà qui va bientôt disparaître de mon champ de vision. Elle n’a que quinze ans et quittera la maison dans quelques mois pour un internat. Elle veut prendre du recul, s’extraire de cette histoire de merde que je lui ai imposée. Je la comprends, pas facile de vivre avec une mère manipulatrice aux sentiments ambigus qui partage maintenant sa vie avec une autre femme et un père aimant peut-être un peu trop parfois qui aime un autre homme. Cela n’était pas prémédité. Je lui avais dit que j’étais bi sexuel à ma future ex-femme, elle pas; elle ne le savait pas, elle ne voulait pas, elle ne devait pas se l’avouer, qu’en sais-je? Mais quand notre histoire s’est terminée dans cette anorexie, dans son corps amaigri et sans forme, je ne pouvais pas imaginer les douleurs que nous allions infligées à nos enfants. J’ai essayé de les protéger, j’ai essayé de les écouter, j’ai essayé de les défendre.
Je comprends qu’Elle puisse m’en vouloir. Mes choix ruinaient définitivement ses espérances de vivre qu’avec son père. Et puis, c’est une adolescente et vous savez de quoi il en retourne, car l’un et l’autre avez des enfants. Elle doit se construire sa propre identité sexuelle dans ce mauvais scénario avec pour repère, une mère et un père, homo. Cette décision est sans doute la meilleure solution, je sais qu’elle est même inévitable, bien que je n’y étais pas préparé, il faut maintenant que je l’accompagne dans cet élan à prendre son envol. Je ne m’y étais pas préparé, je croyais avoir du temps.
A cette douleur, Céline n’a pas attendu pour me donner le coup de grâce, il fut immédiat et terrifiant. Je ne peux vous en dire plus car il me faut d’abord prendre un peu de distance, laisser le temps à non venin de se refaire.
Il fait toujours beau derrière la fenêtre de mon bureau, j’ai bien envi de me rouler dans l’herbe comme un enfant.
Je vous embrasse et donner moi de vos nouvelles au plutôt.
Amicalement
David